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16 mai 2016

 

Lecture en trio. Erri de Luca, et Simonetta Greggio

par Françoise LABRETTE, Marie-Hélène VIVIANI et Daniel LABRETTE

 

Cʼest la quatrième fois que nous est offerte une soirée de lectures d'auteurs italiens, nous dit la Présidente au début de la réunion. Et avec succès, comme le démontre la salle bien remplie. A Marie-Hélène Viviani et Françoise Labrette, nos habituelles lectrices, s'est joint cette fois Daniel Labrette, tandis qu'un accompagnement musical fourni par Claude Viviani - un extrait de “La Poupée Valsante” de Kreisler - agrémentait le début des lectures.

Il y en eut trois, lues tour à tour par chaque intervenant. Deux textes étaient d'Erri De Luca, déjà présenté dans nos réunions, et le troisième émanait d'une révélation pour les acorfiens, Simonetta Greggio.

Le premier texte était le récit d'un enfant, que De Luca a écrit semble-t-il comme s'il s'agissait d'un récit autobiographique. C'est ainsi qu'au fur et à mesure qu'il se déroulait on ne pouvait manquer de se demander : qui est cet enfant, dont le grand-père, mineur de fer, le soir jouait du violon ? Chose émouvante, au mineur il arrivait de retrouver dans son violon les sons du pic qui heurtait le roc.

Plus loin, l'histoire prend des accents de vécu, quand elle nous décrit l'enfant devenu passionné d'escalade, comme l'auteur lui-même. Mais on ne sait s'il est muet, ou seulement renfermé, car il ne se joint pas aux groupes des jeunes qui se proposent d'accompagner les étrangers dans la montagne; s'il arrive pourtant qu'il est choisi pour ses qualités de guide et de grimpeur, il se montre à ce point agile que se lier à la cordée lui paraît inutile.

Plus tard, une fois adulte, il devient assistant de cirques, qu'il aide à dresser leurs chapiteaux. C'est alors qu'une grave chute le mène à l'hôpital en soins intensifs, où il partage sa chambre avec un jeune atteint d'un mal profond. Quand ce dernier, privé de ses lunettes, essaye vainement de les atteindre, notre héros retrouve aux oreilles le son familier du violon de son grand-père, et par un effort extrême, recouvrant force et réflexes du grimpeur, il rend au mourant à la fois les lunettes et la vie.

C'était un texte très difficile, nous semble-t-il, qui doit sa qualité et son sens du vécu au style imagé de l'auteur. Sans doute fallait-il tout l'art de Françoise pour l'habiller du ton d'un conte, mais c'est ce qui, une fois encore, nous a charmés.

Avant de lire le texte suivant, Daniel Labrette nous instruit sur son auteur, Simonetta Greggio, italienne qui écrit en français, et nous cite quelques-unes de ses oeuvres. Celle choisie est un recueil de nouvelles qui s'appelle “L'odeur du figuier”. La nouvelle qu'il nous lit se nomme “Aquascura”, nom d'un lieu imaginaire situé sans doute dans le Midi de l'Italie, et au bord de la mer.

Comme ils en ont l'habitude Tsvi et Chiara sont venus y passer l'été dans une cabane éloignée du monde. Ils sont privés de tout sauf de quelques livres, et de l'amour qui les uni. Mais ils se connaissent depuis la tendre enfance, trop bien sans doute, car leur amour se perd dans la langueur de journées interminables, rongées par l'ennui.

Simonetta Greggio sait bien rendre dans son récit cette atmosphère de détachement réciproque et de mélancolie. Un fait nouveau vient rompre leur ennui : l'implacable agression d'une énorme colonie de fourmis, qui apparaissent et disparaissent sans cesse, dans une succession qui peut conduire à la folie...ou au drame. Le drame c'est ici la mort du beau Salvatore dont Chiara était près de s'éprendre.

Il fallait trouver le ton juste pour ce récit dont les hèros se languissent sous un soleil écrasant, où l'invasion des fourmis succède et se renouvelle continuellement, comme l'oeuvre de la fatalité. Daniel a choisi un ton comme détaché de l'évènement, mais bien en harmonie avec l'ambiance du récit et ce fut une réussite, on se sentait autant écrasés par la chaleur, que dans l'angoisse d'une pression inextinguible, bien au delà de l'invasion sans cesse retrouvée des fourmis. Et comme l'angoisse monte, la cadence augmente, jusqu'à l'épilogue inexorable.

C'est Marie-Hélène qui nous lit la courte histoire de la troisième lecture, celle des souvenirs d'Erri De Luca quand il relate un épisode vécu à Naples, sa ville natale.

Cela se passe peu après le tremblement de terre de 1981, dans le quartier historique, et maintenant délabré, appelé “rione Sanità”. Les secousses se succèdent encore, et il s'agit de renforcer des vieux murs ébranlés, et de les soutenir par des piliers de bois, des troncs fraîchement coupés. Embauché comme manoeuvre, il fait un travail abrutissant, qu'on peut penser inutile, sous un froid à peine supportable. Aussi quand il rentre par le métro dans son logis démuni, sa seule satisfaction est la lecture, toujours recommencée, d'un seul livre, qui l'accompagne partout : “Voyage au bout de la nuit”, de Louis-Ferdinand Céline.

Le rythme de l'écriture, le choix des situations et des termes, nous aident à nous imprégner de l'extrême lassitude qui habite l'auteur, rempli d'une fatigue qu'on dirait aussi bien morale que physique. Les images fortes, les odeurs, les situations absurdes, lui semblent porter un message que personne ne sait lire. Peut-être s'agit-il de l'écroulement et la disparition des édifices baroques du rione Sanità, qui vont dans la spéculation faire place à des immeubles hâtivement construits, devenus plus tard des lieux mal famés. Est-ce cela bien qui était écrit, quand dans le texte toujours revient l'amère constatation : “la ville ne répondit pas” ?

C'était un texte très exigeant, et on avait bien besoin du talent de Marie-Hélène pour en transmettre toute la force et si bien nous en imprégner. Aussi les acorfiens l'applaudirent chaleureusement, associant dans cet hommage les narrateurs précédents pour les remercier de cette très bonne soirée. 


 


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