Année 2008-2009 : 18 novembre 2008

Une cité vulnérable, la Rome antique,

par Alain Malissard

Notre présidente rappelle dans sa présentation les précédentes conférences d’Alain Malissard à l’Acorfi, en particulier celle du 16 mars 2004 intitulée “Images du Tibre latin” (voir le compte rendu sur ce site)

La présente conférence vient après la participation d’Alain Malissard au colloque sur “la gestion intégrée des eaux” organisé en 2007 à l’Université Laval de Montréal.

En préambule il nous présente les risques spécifiques affrontés par la Rome antique : tremblements de terre, incendies, et les inondations. Il explique les raisons, telles l’emploi du bois dans les constructions, qui rendaient la ville très vulnérable.

Cependant le choix du site de Rome présentait beaucoup d’intérêt : au centre de la péninsule, au bord d’un fleuve facilement franchissable, proche de la mer et du trafic maritime.

Remontant aux origines, Alain Malissard décrit le peuplement, d’abord de quatre, puis des sept collines de Rome, entourées de vallées pour la plupart marécageuses. Faisant constamment référence à un plan du site d’origine, très simple et très clair, que tous ont en mains, il permet à l’auditoire de suivre les étapes de ce peuplement, et explique en même temps les efforts d’asséchement ou l’origine et l’étendue des inondations.

Les premiers drains des rois étrusques, remplacés par des canalisations souterraines, suivies des égouts et des aqueducs, sont le signe d’une lutte incessante pour assainir les marécages et combattre les inondations.

Pourtant le Tibre est un fleuve relativement régulier; traversant des zones poreuses de type karstique, celles-ci emmagasinent l’eau au passage pour la restituer lentement, contribuant ainsi à sa régularité et au maintien de son cours durant l’été. Mais la pente est très faible dans la plaine romaine, elle-même à peine supérieure en altitude au niveau normal du fleuve; surtout le Tibre demeure un fleuve méditerranéen et ses inondations le font envahir profondément les vallées romaines. Pour les combattre les romains menèrent au cours des siècles une lutte sans fin.

Alain Malissard nous conte avec verve, sans négliger la précision, ce combat incessant, lisant les textes des chroniqueurs, ou les discours historiques de Camille et de Cicéron défendant le choix de Rome capitale.

Ces morceaux choisis, ceux de Pline le Jeune ou Tite-Live, sur les inondations elles-mêmes ou les projets élaborés pour les combattre, nous font revivre l’existence des romains face à ce danger, pour eux imprévisible, à la différence de la Loire pour les Orléanais, comme il est évoqué au détour d’une phrase.

Les hautes eaux du Tibre surviennent deux fois l’an. Sans atteindre cette fréquence, la longue liste des inondations connues, jusqu’à celle de 69 après J.C. qui emporta le pont Sublicius, impressionne. Sous la République ce fléau semblait irrésistible, en revanche les empereurs romains, soucieux de leur popularité, ont envisagé l’une après l’autre plusieurs mesures pour le dominer.

D’abord on pensa à endiguer le fleuve, comme on avait fait en amont de Rome, mais à Rome ce n’était pas possible vu la faible élévation des rives. En fait des digues efficaces ne seront réalisées que bien plus tard, en 1876, les rives s’étant entre-temps élevées de 7 mètres depuis les romains.

Puis on envisagea de canaliser le Tibre. Les ingénieurs romains en étaient parfaitement capables, et Alain Malissard cite des réalisations de canaux construits par eux dans l’Empire. On commença semble-t-il la construction d’un canal de dérivation. Mais il fallait pour le poursuivre des travaux gigantesques, et l’on abandonna.

Le troisième projet, celui de César, consistait à détourner le cours du Tibre en lui faisant traverser la plaine transtévérine. C’était aussi un projet immobilier, qui pouvait aboutir. Mais la mort de César entraîna son abandon.

Le dernier projet consistait à détourner les affluents du Tibre. Il est conçu sous Tibère, quand l’inondation majeure de l’an 15 après J.C.. atteint le Grand Cirque situé dans la Vallée Murcia, et les jeux en l’honneur de Mars, qui y étaient prévus, doivent se dérouler sur le Forum. On envisage alors de détourner deux affluents de Tibre, le premier vers l’Arno et Florence, le second, celui de la Mera, alimentée par le lac Velin que l’on détournerait vers la plaine de Terni. L’opposition des populations concernées entraîne l’abandon du projet.

Seule l’action de l’empereur Claude en 46 après J.C.., put être menée a son terme. Par des canaux complétant le Tibre vers son embouchure, il fit aménager le port d’Ostie en y créant un delta. Mais si cette oeuvre contribua à libérer le cours du Tibre, c’était en aval de Rome, qui demeurait sujette aux inondations.

Comme le note Alain Malissard, la dernière manoeuvre est typiquement romaine, car de type administratif. Afin de rassurer en administrant, on désigna un collège de 5 curateurs, chargés de l’entretien de rives du fleuve, et son désensablement, puis sous Trajan d’administrer les égouts, et principalement de désigner des zones inondables, non constructibles. L’observation des bornes fixées pour en marquer les limites, fréquemment modifiées, est l’indice d’un sujet de discussions aiguës avec pour thème le développement immobilier.

En dépit d’obstacles de toute nature, comparables à ceux rencontrés de nos jours par une telle politique d’aménagement du sol, les inondations du Tibre perdirent peu à peu une partie de leur gravité. Elles ont pour autant fortement façonné le caractère des romains. A la différence d’Alexandrie et de Capoue, bâties dans des sites favorables à tous points de vue, Rome se trouvait défavorisée à l’origine. Il faut croire comme le dit Alain Malissard dans sa conclusion, que la vulnérabilité elle-même de Rome en a fait une cité de conquérants et de vainqueurs.

A la fin de l’exposé les Acorfiens encore sous le charme quittent avec peine l’ambiance de la Rome pré-italienne, où ils étaient transportés, et se retrouvent dans des applaudissements nourris.

©ACORFI