Année 2003-2004 : 16 mars 2004

Images du Tibre latin,

par Alain Malissard

 

Le Tibre a porté Enée et bercé Rémus et Romulus. A son embouchure il a vu naître un grand port, sur ses bords il a vu grandir une ville qui l'a tout à la fois divinisé, souillé puis englouti dans la succession de ses entrepôts et de ses quais...

On pourrait distinguer trois types de fleuve parmi les fleuves de l’antiquité : les fleuves internes, comme le Pô, les fleuves frontière, comme le Rhin et le Danube, et les fleuves mythiques, comme le Nil et le Tibre.

Le Tibre, le fleuve de Rome, curieusement n’a pas toujours fait bon ménage avec la ville, qu’il inonda fréquemment avant d’être lui-même envahi par elle.

Long de 396 km, il coule des Apennins à la Mer Tyrrhénienne. Ses principaux affluents se trouvent sur la rive gauche ; l’Allia (aujourd’hui Nera) et l’Agno (aujourd’hui Aniene).

La Rome latine était située sur la rive gauche à 26 kms de la mer, la colline du Palatin se trouvant elle-même à 300 mètres du Tibre.

On ne peut pas parler du Tibre sans mentionner Enée, Hercule, et Romulus et Rémus, avec lecture de très beaux textes poétiques.

En particulier les chants 7 et 8 de l’Enéide de Virgile nous font vivre la scène du Troyen Enée quand son navire pénètre dans les flots du Tibre :

Et déjà la mer s'empourprait sous les rayons et, du haut de l'éther, l'Aurore couleur de feu brillait sur son char vermeil, quand soudain les vents se posèrent et tout souffle s'arrêta : les rames luttaient sur le marbre paresseux de la mer. Alors du large, Énée aperçoit un bois immense. Au milieu de ce bois, Tibérinus, un fleuve charmant, aux tourbillons rapides et aux flots jaunis par le sable qu'il charrie, se déverse dans la mer. Tout autour et par dessus, des oiseaux de toutes sortes, familiers de ses rives, charment l'éther de leur chant et survolent le bois. Énée ordonne à ses compagnons de faire virer les proues vers la terre, et, tout heureux, il s'enfonce dans l'estuaire ombragé.

La fondation de Rome en 753 av. J.-C. nous renvoie au Tibre, qui devait noyer les enfants Romulus et Rémus dont l’histoire, contée par Tite-Live, nous est lue en partie.

Le premier pont que les Romains construisirent afin de franchir le Tibre était le pont Sublicius. C’était un pont en bois. Il avait un rôle défensif, car il permettait de se rendre à la colline du Janicule, lieu d’observation et de défense, et un rôle commercial. C’est le roi sabin Ancus Marxius qui le fit construire.

En 509 c’est la république et le roi Étrusque Porsenna attaque Rome. Tite-Live nous conte l’héroïque défense du pont Sublicius par Horatius Coclès qui, ralliant ses hommes en fuite, se bat seul contre les Étrusques, jusqu’à la rupture du pont barrant ainsi la route à l’envahisseur.

Le Tibre intervient par la suite dans l’histoire de Clélie qui se sauve à la nage échappant ainsi à Porsenna,

En 390 c’est l’invasion des Gaulois et la défaite romaine de l’Allia. De nombreux romains, dans leur fuite, périssent noyés dans les eaux du Tibre. Rome est livrée au carnage.

Les Romains pensaient reconstruire leur ville à Véies, ancienne capitale des Etrusques. Camille s’y oppose, en un discours fameux qui évoque tous les avantages de la situation présente, en particulier la position près du Tibre.

Mais la ville reconstruite sera ingrate, car elle fera peu à peu disparaître le fleuve.

Les ponts construits par les Romains sur le Tibre, dans l’ordre de construction (la plupart n’existent plus) :

Au temps d’Hadrien il existait 9 ponts à Rome. Mais ces ponts étaient de purs moyens d’accès et la Rome latine continuait de s’étendre principalement sur la rive gauche. Le Vatican n’existait alors que comme lieu des fêtes organisées par Néron, et la preuve de cette désaffection est que le Trastevere ne reçut des aqueducs que très tard.

En fait il s’agissait surtout de lutter contre les errances du Tibre qui rendait la plaine marécageuse. Il y avait nécessité de drainer (d’où le nom de Forum), et les eaux sales étaient ramenées vers le Tibre, formant la cloaca massima.

En 312 on a le premier aqueduc , et en 144 l’aqueduc de l’aqua marsia, le plus important; c’est l’eau de l’Agno qu’il transporte, et ce dernier devient ainsi le deuxième fleuve de Rome !

Mais le Tibre continue d’inonder fréquemment les partie basses de Rome. Voici les années des inondations les plus importantes : 376, 202, 193, 192, 189, 181, 166, 54, 23 av. J.-C. et 15 ap. J.-C.

Tite-Live a raconté les inondations de 193 et 192, qui emportèrent 2 ponts et faillirent détruire le Temple de Vesta. L’une des inondations les plus terribles fût celle de 69 ap. J.-C., des passants, des personnes surprises dans leur lit, furent emportés, les magasins de provisions envahis par l’eau, ce qui provoqua une famine générale.

Pourtant, dès l‘an 15 ap. J.-C., sous Tibère, on avait créé la “Cura” du Tibre, une sorte de ministère formée de cinq curateurs chargés de remédier. Sous César des projets de détournement qui auraient éloigné le Tibre de Rome (le Vatican serait passé à la rive gauche) et l’auraient privé de ses affluents, ne purent aboutir devant l’hostilité des diverses populations concernées, et la mort de César les fit abandonner.

Entre-temps le Tibre continue d’aider à ravitailler Rome avec deux ports :

Mais ces ports ne suffisaient pas, et le blé d’Égypte était principalement débarqué à Pouzzolle près de Naples, d’où on l’acheminait par bateau en cabotage ou par la route.

C’est alors que sous Claude commença construction du port d’Ostie, les travaux durèrent de 42 à 54 ap. J.-C.

Ostie était une réalisation grandiose, dont on n’eut une idée exacte qu’en 1960 lors de la construction de l’aéroport de Fiumicino avec les découvertes archéologiques qui s’ensuivirent.

Il y avait un grand bassin avec des môles pour 250 navires, et au centre une île artificielle créée en coulant le navire qui à l’époque de Caligula, avait apporté l’obélisque d’Egypte à Rome. Celle île portait un grand phare de 4 étages,

Mais ce port ne suffisait pas, il s’ensablait, et on continuait d’utiliser Pouzzolle. On construisit alors un nouveau bassin pour 200 navires en plus.

Arrivées à Ostie les marchandises étaient transbordées et transportées à Rome dans des barques à fond plat que l’on halait jusque Rome en 3 jours. L’annone (la récolte de céréales) constituait la moitié des denrées transportées.

Des écrits nous démontrent qu’on se baignait dans le Tibre au temps de la République, mais qu’on le faisait plus lors de l’époque impériale.

Bien qu’il s’agisse d’une divinité importante, on parle peu du Tibre dans les lettres latines, si ce n’est l’Enéide de Virgile.

Cependant le Tibre avait une fonction de présage soulignée par Tacite, et l’on organisait des fêtes en son honneur. La fête officielle du Tibre a lieu le 8 décembre.

Une autre fête a lieu le 15 mai : ont y jette des mannequins du haut du pont Sublicius, mannequins préalablement transportés en procession dans des chapelles les 16 et 17 mars.

De ces fêtes il est question dans le livre 3 de l’encyclopédie ou histoire naturelle de Pline l’ancien.

Par la suite le Tibre est de moins en moins visible à Rome, qui l’enserre, le recouvre, et s’étend loin de lui.

Sa statue de Dieu elle-même est concernée; on ne le voit plus debout, mais couché : au musée des Conservateurs à Rome, aux bassins de Versailles et des Tuileries.

Néanmoins, on pourrait dire en conclusion que si l’autre fleuve mythique, le Nil, est le symbole de l’Orient, le Tibre, lui, demeure le symbole de l’Occident.

Plusieurs questions et demandes de précisions ont suivi cet exposé nourri et très documenté, rempli de détails historiques mais aussi de lectures de textes anciens pleins d’une poésie insoupçonnée, qui enchantèrent l’assemblée et permirent de rappeler que l’Italie avait commencé sa longue histoire avec Rome et son passé glorieux.

Pour approfondir :

Sur le web :

 

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