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7 juin 2011

 

Voyageurs insolites dans l'Italie du XXe siècle

par André LINGOIS

 

Les Acorfiens et leurs amis avaient été sans doute intrigués (et un peu inquiets) par la présentation qui annonçait "un jeu de piste" où l'on devait retrouver à la simple lecture des écrivains plus ou moins connus… En réalité il s'agissait d'une promenade sans prétention, parmi les lieux — et à ce sujet le champ d'investigation a été réduit à l'Italie du Nord mais superbement illustré par les photos de Pierre Staelen — et les textes ont été lus en alternance par le conférencier et par la Présidente (que nous remercions encore).

Le ton a été donné par le premier extrait, sous la plume d'un académicien injustement oublié, Jean-Louis VAUDOYER (1883-1963), ami intime d'Henri de Régnier et grand-oncle de Pierre Joxe : il s'agissait d'une véritable ode à l'Italie, à son pouvoir d'incantation et à sa lumière, dans la tradition humaniste nourrie de références littéraires qui va de Chateaubriand à André Suarès.

En commençant le voyage par le Nord, c'est-à-dire par les lacs de Lombardie, mis à la mode à la fin du XIXe par les voyageurs anglo-saxons (et plus tard par Valery Larbaud), le public a trouvé le Lac Majeur, ses Îles Borromées et leur parfum vanté par René BOYLESVE (1867-1926) qui connut un succès impressionnant à l'époque (le roman Le parfum des îles Borromées a été publié en 1898). Le Lac de Côme n'était pas en reste, mais son chantre n'a pas eu le même écho : il s'agissait de Gabriel FAURE (1877-1962), confondu souvent avec son quasi homonyme, le musicien Gabriel Fauré. Pourtant cet écrivain aujourd'hui oublié, sauf dans son fief de Tournon, publia plus de quatre-vingt ouvrages sur l'Italie, dont Heures d'Italie (1930), fréquenta Carducci, D'Annunzio et fut plus tard l'ami de Malraux. À dire vrai, son style a paru très daté, pour ne pas dire désuet. On lui a préféré des auteurs nettement moins conventionnels comme Roger LANNES (1909- 1982), dont les débuts poétiques furent révélés par Max Jacob et qui fut plus tard loué par Jean Cocteau — dont il fut le biographe attitré ; il a laissé de ses voyages transalpins au sortir de la guerre un livre attachant L'Italie au jour le jour (1949). À peu près à la même époque, un chroniqueur du Paris populaire, connu surtout par La belle Lurette et Le Tout sur le Tout, Henri CALET (1904- 1956), invité comme journaliste à un congrès scientifique à Abano Terme, a posé un regard désinvolte et ironique sur une Italie familière dans L'Italie à la paresseuse (1950).

En continuant le voyage vers Venise, source en France d'une littérature aussi riche que variée, qui va du Président De Brosses à Paul Morand, de Jean-Jacques Rousseau à Philippe Sollers, les Acorfiens ont retrouvé comme dans un diptyque, d'un côté les admirateurs ou les poètes qui trouvent, comme Roger Lannes "qu'il n'y a qu'à Venise que le mot façade a le même sens que celui de visage pour les êtres humains" lequel ajoute : "Si le Paradis avait un fleuve comme les Enfers, ce serait le Grand Canal…", de l'autre les sceptiques toujours méfiants à l'égard des clichés, tel Henri Calet qui avoue que la "vue de Venise à distance ressemble à un petit tableau de Canaletto (ou de Guardi) aperçu au Louvre." Et d'en rajouter : "Ce qui déconcerte en Italie, c'est qu'on ne parvient pas facilement à voir au-delà, au-dessous de la peinture, ou de la légende : tout est revêtu d'une croûte, d'une patine artistique et romanesque qu'il faudrait gratter…"

Cela dit, un esprit curieux, petit-fils de Rital par surcroît, puisqu'il s'agit de GIONO (dans son Voyage en Italie 1954)- délaissant les musées pour le spectacle de la rue, a saisi une scène amusante et significative : assistant Place Saint Marc à un concert de la Musique municipale qui "assassine Mozart" dans une "horrible piaillerie sans mesure", il a remarqué, au milieu d'une assemblée ravie, un dilettante en proie à un bonheur parfait, et il comprend tout d'un coup un des traits marquants du tempérament italien : toute l'assistance était en représentation et l'on jouait la volupté, "ici, ce n'est pas pour le tsar et la patrie qu'il y a des héros, mais c'est pour la galerie."

Le temps nous manque pour résumer les haltes de Vénétie, les "Colli euganei", les villas palladiennes, Padoue, la basilique San Antonio, le tombeau du saint et son "fantastique bric-à-brac", Vicence et le choc de la visite du Théâtre Olympique, où le décor révèle "un univers d'une beauté inimaginable si bien qu'on se croit à Délos ou à Olympie" … Et puis, miraculeusement, nous voici en Ombrie, guidés d'abord par Gabriel FAURE qui admire la campagne aux environs d'Assise semblable à un jardin : "Je comprends alors que le bonheur de vivre ait tenu dans la religion de Saint François plus de place que la crainte de la mort…", ensuite par J.L. VAUDOYER, dans L'Italie retrouvée !1950) : "Tout le paysage vibre d'une lumière presque surnaturelle, comme ces chemins qui grimpent aux Carceri ou à San Damiano. Le vent qui souffle à Assise est celui des grandes âmes".

D'Ombrie, nous gagnons notre dernière étape, la Toscane, avec une halte depuis longtemps désirée : Sienne, et il faut laisser la parole à son plus éloquent et plus lyrique admirateur André SUARES : "enfin je vous ai vue, ma fiancée toute vierge et toute passion, enfin je vous ai trouvée, ô ville tant cherchée, et vous m'avez accueilli, comme si vous m'eussiez attendu, comme si vous m'aviez souhaité. Je suis entré dans la ville rouge, qui se retranche et se dresse sur un socle de terre chaude, pétrie dans le sang et veinée d'or…" Et de découvrir le coeur de la cité : "C'est la conque d'Aphrodite ou le bénitier de Marie: elle est rose sous la lune et partagée en longs pétales de marbre...Son ovale exquis, à la suave pente, est le sexe brûlant et clos de l'adorable ville..." A cette ode enflammée, a fait écho une page que toute l'assistance a identifiée Il s'agissait d'un extrait du Promeneur amoureux (1980) de Dominique FERNANDEZ qui renchérit ainsi : "La piazza del Campo est la plus femme des places féminines, le symbole le plus évident de l'intimité féminine." Bien sûr, après Sienne, il y a l'incontournable San Gimignano, diversement apprécié; si le lyrique Suarès y voit "la couronne de fer que le dieu de la Toscane a posée là sur une éminence", Roger Lannes fait la petite bouche : 'C'est un bourg médiéval. C'est le bourg médiéval." tandis que R. Boylesve, dans Feuilles tombées se laisse aller au plaisir : "Les yeux sont charmés par de si doux objets anciens et par un horizon si délié, et l'âme encore ravie des deux Filippino Lippi qui sont exposés là…"

Jusque là les textes lus — et pour notre plaisir relevés de belles images (mais sans excès de pittoresque) — appartenaient pour la plupart aux impressions de voyage ; aussi le public a apprécié l'ultime parenthèse romanesque, due à un écrivain contemporain, facilement reconnaissable, puisqu'il s'agissait de Michel DEON, plutôt connu pour son amour de la Grèce et aussi de l'Irlande, mais qui a eu, lui aussi, sa passion italophile. Parmi ses écrits sur l'Italie, avait été choisi le roman intitulé Je vous écris d'Italie (1984) où l'auteur imagine une petite cité de Toscane (ou peut-être d'Ombrie ?) perchée sur son rocher qu'il nomme Varela, synthèse symbolique de Todi et de Cortona. Le héros, qui a participé en tant qu'officier d'infanterie à la campagne d'Italie souhaite revoir ce haut-lieu historique épargné par la guerre et, surtout, son hôtesse la belle Contessina Béatrice de Varela, lointaine cousine de la Sanseverina… (lire la suite en Folio)

En conclusion, nous avons retrouvé un très beau texte que notre guide nous avait déjà lu lors d'une Conférence sur un Prix Nobel amoureux de l'Italie et que tout le monde a reconnu : c'était en quelque sorte le "testament italien" d'Albert CAMUS tiré du dernier tome de ses Carnets. L'auteur dresse la liste des lieux qu'il a aimés en Italie, et particulièrement en Toscane, lieux où il pensait vivre et même mourir : "Je voudrais revenir à la fin de ma vie sur le chemin qui descend dans la vallée de San Sepolcro, le descendre lentement, marcher entre les oliviers frêles et les longs cyprès et trouver dans une maison aux murs épais et aux pièces fraîches une chambre nue à l'étroite fenêtre d'où je puisse regarder le soir descendre sur la vallée. Je voudrais... Surtout, surtout, refaire à pied, sac au dos, la route de Monte San Savino à Sienne, longer cette campagne d'olives et de raisins, dont je ressens l'odeur, par ces collines de tuf bleuâtre qui s'étendent jusqu'à l'horizon... Quand je serai vieux, je voudrais qu'il me soit donné de revenir sur cette route de Sienne que rien n'égale au monde, et d'y mourir dans un fossé, entouré de la seule bonté de ces Italiens que j'aime…"

P.P.C.. l'italophile de service.

©ACORFI