Année 2003-2004 : 4 mai 2004

Indro Montanelli,

par Pierre Staelen

 

 

Cet Exposé sur Indro Montanelli a comporté deux parties, la première qui retrace à grands traits sa biographie, si riche d’évènements, la deuxième, abrégée, consacrée à ceux de ses livres qui relatent l’histoire de l’Italie.

INDRO MONTANELLI : BIOGRAPHIE

 

MONTANELLI : L’HISTOIRE D’ITALIE

 

1) Le tableau ci-dessous énumère tous les livres d’histoire écrits par Montanelli.

Titre Auteurs Période
pages
1° édition
Storia dei Greci Montanelli du 20° siècle à 148 a.C.
340
59
Storia di Roma Montanelli de la Fondation à 68 apr.JC
388
57
Dante e il suo secolo Montanelli de 1265 à 1322
507
64
L’Italia dei secoli bui Montanelli Gervaso de 250 à 1000
366
65
L’Italia dei Comuni Montanelli Gervaso de 1000 à 1250
411
66
L’Italia dei secoli d'oro Montanelli Gervaso de 1250 à 1492
300
67
L’Italia della controriforma Montanelli Gervaso de 1492 à 1600
562
68
L’Italia del Seicento Montanelli Gervaso de 1600 à 1700
486
69
L’Italia del Settecento Montanelli Gervaso de 1700 à 1789
679
70
L’Italia giacobina e carbonaria Montanelli de 1790 à 1831
671
71
L’Italia del Risorgimento Montanelli de 1831 à 1861
684
72
L’Italia dei Notabili Montanelli de 1861 à 1900
431
73
L’Italia di Giolitti Montanelli de 1900 à 1920
348
74
L’Italia in camicia nera Montanelli de 1919 à 1925
282
76
L’Italia Littoria Montanelli Cervi de1925 à 1936
263
79
L’Italia dell’ Asse Montanelli Cervi de 1936 à 1940
449
80
L’Italia della disfatta Montanelli Cervi de 1940 à 1943
330
82
L’Italia della Guerra Civile Montanelli Cervi de 1943 à 1946
390
83
L’Italia della Repubblica Montanelli Cervi de 1946 à 1948
254
85
L’Italia del miracolo Montanelli Cervi de 1948 à 1954
307
87
L’Italia dei due Giovanni Montanelli Cervi de 1955 à 1965
213
89
L’Italia degli anni di piombo Montanelli Cervi de1965 à 1978
240
91
L’Italia degli anni di fango Montanelli Cervi de1978 à 1993
383
93
L’Italia di Berlusconi Montanelli Cervi de 1993 à 1995
319
95
L’Italia dell’ Ulivo Montanelli Cervi de 1995 à 1997
254
97

 

2) Tout a commencé en 1954 avec la Storia di Roma, écrite sur le conseil de Dino Buzzati, son collègue au Corriere. Il ne s’agissait pas d’un livre mais d’articles publiés toutes les semaines par la Domenica del Corrierre, comme un récit publié en feuilletons. Vers 1957 on lui conseilla de faire paraître la Storia d’Italia en volumes.

L’accueil obtenu encouragea Montanelli à écrire la “Storia dei Greci”, parue en 1959. Mais c’est surtout le grand succès de lecture rencontré par “Dante e il suo secolo” qui le décida à mettre en œuvre l’Histoire de l’Italie.

Comme on peut le voir sur le tableau, il commença seul, puis se fit aider par un jeune collègue, Gervaso. Par la suite ce dernier ayant entrepris une carrière personnelle, Montanelli écrivit seul quelques volumes, et finalement s’assura l’assistance d’un deuxième collègue, Cervi.

En principe les livres devaient paraître chaque année, pour Noël. Ce rythme n’a pas pu toujours être entièrement suivi, et à la fin l’histoire d’Italie paraissait tous les deux ans, jusqu’à l’âge de 88 ans pour Montanelli, et la période la plus contemporaine.

 

3) Montanelli n’a jamais prétendu être un historien au sens académique du terme ; il s’appelait lui-même un “divulgateur” de l’histoire d’Italie, loin de l’académisme officiel, avec pour but de faire connaître son histoire à l’italien moyen, qui jusqu’alors n’avait vu que les livres parus sous le fascisme.

Comme il dit dans son “Avvertenza” de “l’Italia dei secoli bui” : (L’Italie des siècles obscurs)

“L’ambizione che ci pungola non è quella di svolgere delle teorie nuove e originali, ma quella di fornire al grande pubblico, che ne ha tanto bisogno, une strumento d’informazione facile, chiaro, e possibilmente piacevole. Se riusciremo a appassionare qualche migliaio d’italiani alla storia d’Italia illuminando ai suoi occhi ciò che finora gli era rimasto oscuro, avremo reso un immenso servigio a quella cultura media che la cultura ufficiale e universitaria ha colpevolmente trascurato e disprezzato. Il lettore ci dirà se abbiamo colpito il bersaglio”.

Traduction : “Notre ambition n’est pas de développer des théories neuves ou originales, mais celle de fournir au grand public, qui en a tant besoin, un instrument d’information facile, clair, et si possible agréable. Si nous réussissons à passionner quelques milliers d’italiens pour l’histoire d’Italie, en illuminant pour lui ce qui jusqu’à présent était demeuré obscur à ses yeux, nous aurons rendu un service immense à la culture moyenne, que la culture officielle et universitaire a négligé et déprécié à tort. Le lecteur nous dira si nous avons atteint notre but”.

 

4) Pour atteindre ce but Montanelli emploie différents outils :

Voici par exemple quelques titres de chapitres de “l’Italia dei Comuni”

Autres initiatives destinées à faciliter la compréhension ou la recherche :

 

5) Tous les volumes peuvent être lus séparément, l’auteur précisant, chaque fois que nécessaire, les liens avec les événements du volume précédent. Chaque volume couvre une période, vaste pour les premiers volumes, puis s’abrégeant au fur et à mesure qu’interviennent de plus nombreux personnages, ou que l’histoire devient inter-européenne, voire planétaire.

 

6) Il existe deux traits essentiels qui caractérisent fortement l’histoire vue par Montanelli :

“A corte come siamo d’informazioni dirette, ho cercato di derivare tutto questo da un affresco del suo tempo. Questo affresco - si dirà - risente il gusto e lo stile del giornalista. E spero che sia vero. Esso mi ha suggerito, per esempio, di soffermarmi sulla moda al tempo di Dante, sulla dieta, sui giuochi, sugli sport, sugli arredamenti delle case, e perfino sui bagni e sui gabinetti di decenza. Non ho mai capito il disprezzo e la negligenza di questi particolari che alligna tanti insegni studiosi di Dante”.

Traduction :”Etant à court d’informations directes sur Dante, j’ai cherché à dresser la fresque de son temps. On dira que cette fresque reflète les goûts et le style du journaliste. Et j’espère bien que c’est le cas. C’est ce qui m’a suggéré par exemple de m’attarder sur la mode au temps de Dante, sur la nourriture, les jeux, les sports, l’ameublement des intérieurs, et même sur les bains et les toilettes. Je n’ai pas compris le dédain et la négligence pour ces détails qu’ont montré tant de distingués spécialistes de Dante”.

“La nostra storiografia academica annovera opere magistrali, che di solito presuppongono la conoscenza dei fatti, e trascurano i personaggi perché ritengono che i veri protagonisti della Storia non siano essi, ma le idee.
Noi riteniamo il contrario: cioé che i fatti vadano raccontati, perché nessuno è obbligato a saperli o a ricordarli, e che i loro protagonisti siano sopratutto gli uomini, i loro caratteri, le loro passioni, i loro interessi.”.

Traduction : “Notre historiographie académique produit des œuvres magistrales, qui d’habitude présupposent la connaissance des faits, et négligent les personnages, retenant que les véritables protagonistes de l’histoire ne sont pas ceux-ci, mais les idées.
Nous prétendons le contraire, c’est-à-dire que les protagonistes sont avant tout les hommes, leurs caractères, leurs passions, leurs intérêts
”.

Ces protagonistes sont les grands personnages qui ont marqué, non seulement l’histoire des états, mais aussi toute la culture de leur époque, arts, littérature, musique.
Jusqu’à “l’Italia dei Notabili”, il dédie à chacun un chapitre entier. Par exemple, pour citer parmi les derniers : Foscolo, Leopardi, Manzoni, Rossini, “L’esule di Londra” (Mazzini), “L’eroe dei due mondi” (Garibaldi), Cavour, Verdi, etc...
A partir de “l’Italia dei Notabili”, et bien qu’il ait commencé à écrire quelques chapitres culturels, dépassé comme il dit par l’avalanche des événements, il doit renoncer au domaine culturel pour s’en tenir à un cadre strictement politique, social, et économique.

7) Enfin en complément de l’ouverture vers le lecteur moyen, il y a le style de Montanelli, direct, clair, et concis, par légers paragraphes, où la “battuta”, le mot pour rire, ne manque jamais, et où l’on sent bien sûr l’empreinte du journaliste et du grand conteur qu’il fût. Il faudrait des récits ou des chapitres entiers pour servir d’exemple. Citons quelques débuts de chapitres :

Extrait de “l’Italia dei Secoli d’oro”, début du chapitre xiv, “Lo scisma e il concilio” :

“Appena riavuto il Papato, i romani si affretarono a mostrarsene indegni. Assediarono il Laterano dove si teneva il Conclave per l’elezione del successore di Gregorio, e mininacciarono di morte i Cardinali ne non sceglivano un romano, o almeno un italiano. I Cardinali erano sedici, di cui dodici stranieri, in maggioranza francesi. Si affrettarono a eleggere l’Arcivescovo di Bari, Bartolomeo Prognazzo, e fuggirono atterriti rimpiangendo i bei tempi di Avignone”.

Traduction ; “A peine eurent-ils retrouvé la Papauté, les Romains ne tardèrent pas à s’en monter indignes. Ils assiégèrent le Latran, où se tenait le Conclave pour l’élection du successeur de Grégoire, et menacèrent de mort les Cardinaux s’ils ne choisissaient pas un romain, ou au moins un italien. Les Cardinaux, au nombre de seize, dont douze étrangers, surtout français, élirent à la hâte l’Archevêque de Bari, Bartolomeo Prognazzo, et s’enfuirent épouvantés en regrettant leur bon temps d’Avignon”.

Extrait de “l’Italia del Risorgimento”, début du 42e chapitre “Verdi” :

“Molto si stupiranno che un perio cosi intenso di avvenimenti e di passioni come il trentennio risorgimentale sia stato, nel campo della letteratura e dell’arte, piuttosto sterile... Uno solo grandeggiò, nella musica. ma vi grandeggiò appunto perché col Risorgimento s’identificò, dandogli i suoi slanci, i suoi ritmi, i suoi inni, i suoi cori. Giuseppe Verdi era un compositore di razza, che in qualsiasi epoca e Paese avrebbe svettato. Ma non c’é dubbio che al suo immenso successo molto contribuì la sua capacità d’interpretare come nessuno i sentimenti e gli entusiasmi del tempo. Era la musica di Verdi che scaldando gli animi degli spettatori trasformava gli spettatori della Scala e della Fenice in manifestazioni di patriottismo. Ed era cantando Verdi che i volontari si avviavano ai campi di battaglia. A tal punto il Risorgimento s’identifica in lui da sembrare un suo melodramma, irlante di trombe e rullante di tamburi. Ma questo non sminuisce la grandezz dell’artista. La caratterizza soltanto.

Traduction : Beaucoup seront surpris qu’une époque aussi riche d’évènements et de passions que les trente années du Risorgimento aient été, en littérature ou dans le domaine artistique, plutôt stériles. Il n’y eût qu’il seul grand , dans la musique, mais il y fut grand justement parce qu’il s’identifia au Risorgimento, en lui donnant ses élans, ses rythmes, ses hymnes, ses choeurs. Joseph Verdi était un compositeur de race, qui se serait détaché à n’importe quelle époque et dans n’importe quel pays. Mais on ne peut douter qu’à son immense succès, a beaucoup contribué sa capacité d’interpréter comme personne d’autre les sentiments et enthousiasmes de son temps. C’est la musique de Verdi qui en enflammant l’âme des spectateurs, transformait les spectacles de la Scala et de la Fenice en manifestations de patriotisme. Et c’est en chantant Verdi que les volontaires partaient aux champs de bataille. Le Risorgimento s’identifie avec lui à un point tel qu’il semble être son mélodrame, dans un hurlement de trombe et un roulement de tambour. Mais cela ne diminue pas la grandeur de l’artiste. Cela la caractérise seulement.

8) Bien entendu, cette manière de raconter l’histoire ne pouvait que lui attirer des critiques, certaines très acerbes, d’autres plus modérées comme celle d’Umberto Eco qui souhaitait que son histoire soit un peu moins anecdotique.

A toutes ces critiques Montanelli ne répondait qu’en rappelant la modestie intellectuelle de ses buts, largement compensée par l’ambition de divulgation qui lui avait apporté des millions de lecteurs.

Il ajoutait qu’il s’était inspiré des historiens anglo-saxons, tels Lord Acton, Edward Carr, Denis Mack Smith, etc...
Ses sources pour l’histoire romaine ou du Moyen-Age étaient des allemands et autrichiens du siècle précédent, souvent peu connus en Italie, tels Ludwig Von Pastor, Gregorovius, Theodor Mommsen.
De français il a utilisé pour l’histoire romaine ses lectures de Carcopino. Il appréciait les mémorialistes français et ne dédaignait pas Saint-Simon. Il aimait Sainte-Beuve et Chateaubriand.

Ce ne sont là que quelques exemples de ses auteurs et historiens source, qu’il pouvait lire dans la langue d’origine. Il lui arrivait d’ailleurs fréquemment d’employer dans ses livres des expressions étrangères s’il pensait qu’elles convenaient mieux et sont du domaine courant.

Et on peut sans doute voir dans son approche européenne et multiculturelle un atout supplémentaire à ceux déjà cités, et qui lui a permis de voir l’histoire de son pays, et parallèlement l’histoire de l’Europe, d’une manière jamais vue avant lui; en tous cas son Histoire de l’Italie demeure moderne et peut être lue encore maintenant par tous, avec toujours autant d’intérêt.

Pour approfondir :

Sur le web :

 

©ACORFI