Année 2003-2004 : 2 décembre 2003

Le théâtre à l'italienne,

par Bernard Guillaumot

 

Monsieur Bernard Guillaumot, architecte-scénographe précise qu'il sera question de l’histoire de architecture du théâtre à l'italienne du XVIe au XVIIIe siècle.

Comme vous le savez, l’histoire de l’Architecture du « théâtre à l’Italienne » s’est développée entre le début du XVIe et la fin du XVIIIe siècle.

Trois siècles de créations esthétiques et de recherches architecturales, parmi lesquels il a fallu sélectionner les théâtres m’ayant apparu comme les plus représentatifs, entre les centaines d’autres certainement aussi prestigieux.

Avant d’aborder ce vaste projet, je souhaiterais saisir l’occasion de notre rencontre pour répondre à une question qui m’est souvent posée :

Qu'est-ce qu'un théâtre à l'italienne ?

C’est une question à la fois simple et ambiguë, souvent mal déterminée qui nécessite quelques précisions.

Le véritable « théâtre à l’Italienne » ne peut appartenir qu’au XVIIIe siècle, car il était avant tout un lieu de divertissement, d’expression théâtrale et musicale, un lieu dans lequel les spectateurs se jouaient entre eux la comédie de manière originale et quelque fois libertine pendant que sur la scène, les acteurs jouaient la comédie dans de somptueux décors mués grâce à des équipements scéniques ultra sophistiqués, sans lesquels la magie et l’illusion n’auraient pas été possibles.

Du XIXe siècle à nos jours encore, nous appelons « théâtre à l’italienne » tout ce qui peut se rapporter à un édifice théâtral conventionnel destiné le plus souvent à l’Art dramatique, comme si nous ne voulions pas savoir ce qu’il fut à l’origine, c’est à dire un lieu principalement destiné à l’Art lyrique et à la danse, assujetti aux goûts du pouvoir et de la représentation.

L’Architecture, plus qu’un autre art est sujet de mode, il la subit ou la détermine.

C’est vraisemblablement au XVIIIe siècle que l’Architecture théâtrale et la décoration scénique ont exprimé le mieux les goûts de luxe des classes dominantes, animés par les superflus de fastes et de magnificences.

Pour rester dans une limite d’un temps raisonnable, j’ai volontairement restreint cet exposé à l’examen de l’architecture intérieure des salles en donnant une priorité à celles de l’Italie, sans traiter véritablement les caractéristiques des scènes et des décors, sujet dont l’importance mériterait à lui seul de longs développements qui nous écarteraient par trop de notre sujet, un sujet qui m’a permis, comme disait Flaubert de « vérifier mes rêves ».

Pour nous orienter dans ce dédale historique, je me suis efforcé de rétablir un déroulement géochronologique des dates et des faits qui se sont succédés dans le temps. (Le cheminement)

Dès la fin du XVe siècle, la Renaissance hésitait entre l’imitation des grands modèles de l’Antiquité et les profondes transformations sociales et politiques économiques et scientifiques ainsi que religieuses, qu’annonçaient une ère nouvelle.

L’Italie était prête à accueillir des artistes capables de transcender l’art, c’est ce que fit Charles d’Amboise alors gouverneur Français à Milan, et grand amateur de comédie, lorsqu’il employa Leonard de Vinci pour effectuer des « Dessins de scène et des travaux d’architecture », que l’on a retrouvé dans des fragments du Codex Atlanticus, se rapportant à de nombreuses études de Géométrie et de Machineries scèniques, ainsi que les plans d’un palais spécialement conçu pour que Charles d’Amboise puisse y donner des fêtes, banquets, danses et spectacles divers, et peut-être aussi pour rivaliser aux activités artistiques de la Cour des Gonzagues à Mantoue.

De manière générale, les riches gentilshommes de Milan, prêtaient leurs demeures pour des représentations de comédies et tragédies de Corregio et de Taccone. Léonard de Vinci fut appelé à participer à la représentation de la Dannæ en qualité de décorateur et metteur en scène présentée le dernier jour de janvier 1446.

Franchissant le XVIe siècle, nous venons de constater que les innovations de la Renaissance remplacèrent peu à peu dans tous les domaines, la stagnation du monde médiéval.

C’est d’abord et surtout en Italie que s’incarna l’esprit de la Renaissance, une sorte de réveil de l’homme qui fixait toutes les nouvelles formes artistiques, en particulier celles des innovations dramatiques imaginées par le grand philosophe italien Bruno Giordano dans le domaine de la « Comédie et du dialogue », deux nouveaux genres faisant naître des œuvres relatant des scènes de la vie en opposition avec les représentations improvisées de la Commedia dell’arte.

Inspiré par cette dramaturgie naissante, l’architecte et théoricien Sebastiano Serlio édifie à Vicence vers 1540, le premier théâtre temporaire, en bois et à ciel ouvert, une expérience particulièrement intéressante ouvrant la voie au théâtre du XVIIe siècle, un édifice conçu en rapport à l’art de la perspective préfiguré par son maître Boldassare Peruzzi, célèbre peintre et architecte florentin.

Dans ce théâtre, il n’y a aucune séparation nette entre les spectateurs et les acteurs.

Face à un hémicycle réservé aux spectateurs, la scène est composée d’une surface plate d’avant-scène appelée « Proscenium » se prolongeant à l’arrière, d’un plan incliné sur lequel se trouve planté un décor unique en perspective adapté à chaque type de spectacle.

Trois catégories existaient :

Parallèlement à ces nouveaux moyens d’expression, l’Italie restera encore très respectueuse pour les sujets littéraires empruntés à la mythologie grecque, ainsi que pour l’art antique, en particulier pour l’architecture en s’inspirant aussi fidèlement que possible aux théories du célèbre architecte romain Marcus Vitruve.

Le plus bel exemple que l’on puisse retenir est celui du théâtre Olympique de Vicence, conçu par l’architecte Palladio vers 1580.

C’est le premier théâtre permanent aménagé dans les murs d’une ancienne forteresse. Inspiré d’après les ruines et les écrits de Vitruve.

Ce théâtre entièrement fermé et couvert se compose :

C’est principalement à Florence, et grâce à la famille des Medicis que les modes d’expression scéniques vont entièrement changer.

Dans cette société qui craint le scandale, on aspire à l’évasion car rien ne lui fait plus peur que le monde où l’on s’ennuie.

Pour y remédier, cette famille ordonne la construction du Palais des Offices qui sera terminé en 1585, et dans lequel fut aménagé un théâtre par l’architecte Bernardo Buontalenti pour y présenter les fêtes princières principalement composées de ballets dans lesquels la musique et la danse se mêlaient à la comédie dramatique.

Dans ce « théâtre de salle » on perçoit déjà toutes les dispositions architectoniques que nous retrouverons dans les siècles postérieurs. Quant aux genres de spectacles présentés, ils sont considérés comme les Premiers Opéras que l’on a rapportés d’Italie en France à la demande de Charles VIII, Louis XIII et François 1er.

L’opéra naîtra effectivement le 5 décembre 1600, lors des festivités en l’honneur du mariage d’Henri IV et de Marie de Medicis, avec la première représentation dans le Palais Pitti, du célèbre Euridice de Jacopo Peri.

Le XVIIe siècle naissant, c’est principalement à Mantoue, le 24 février 1607, que l’opéra connaîtra son véritable développement et entrera dans l’histoire de la musique, lors de la représentation de l’Orfeo de Claudio Monteverdi, dans une salle de Palais Ducal, une ville qu’il connaît bien pour y avoir passé plus de vingt années en compagnie du Duc qu’il accompagna dans plusieurs de ces déplacements, tant en Turquie qu’en Hongrie aussi bien qu’en Flandres.

Pour rivaliser avec le théâtre Médicis des Offices, fut édifié à Parme en 1618, le théâtre Farnese conçu par l’architecte Giovanni Battista Aleotti, en l’honneur d’une visite que devait faire le Grand Duc de Toscane Cosme II de Médicis.

Ce théâtre s’inscrit dans un quadrilatère couvert dont la source de sa forme pourrait faire penser à un cirque ou à un théâtre Etrusques, composé de gradins implantés en fer à cheval dégageant un espace libre central sur lequel pouvaient évoluer des athlètes, des jongleurs ou toutes sortes d’acteurs appelés Histrion jouant des farces grossières en s’accompagnant de flûte.

Cet espace libre était également réservé au public debout ou assis sur des bancs, quant au cadre de scène particulièrement architecturé, il s’inspire là aussi des principes énoncés par Vitruve.

Parallèlement à ces spectacles de divertissements, il s’organisait encore en Italie comme dans toute l’Europe, des fêtes de chevalerie ou des joutes artistiques, organisées selon une hiérarchie sociale comme par exemple à Bologne où fut construit un théâtre de tournoi à ciel ouvert en 1628.

Ce type de théâtre s’implantait généralement dans le patio d’un palais suivant un ordonnancement architectural intérieur extrêmement rigide et compartimenté, que les architectes des XVIIe et XVIIIe siècles ont subtilement transposés pour en faire un « style quasiment universel ».

Inspiré du Circus Maximus de Rome, utilisé par les Etrusques dès la fin du VIe siècle avant J.C., on y retrouve tous les composants architecturaux :

Brillante dès le début du XVIIe siècle, Venise possédait 7 théâtres consacrés à l’opéra, sans parler de ceux qui donnaient des comédies, alors que Paris à la même époque, n’en possédait que 3.

Sous une république oligarchique comme Venise, l’avènement du théâtre public payant, peut être considéré comme une avancée vers la démocratisation.

Touchant toutes les couches de la société, les propriétaires privés les plus fortunés se livrèrent une lutte sans merci pour créer leur propre salle de spectacle, ce que l’on a appelé à cette époque la « Guerre des loges » instaurant une véritable reconversion providentielle des investissements, du « Navire au théâtre » dans un moment où le commerce maritime déclinait.

Parmi les édifices d’opéra vénitien, le San Cassiano fut sans aucun doute, le premier théâtre payant, ouvert au public en 1637, avec l’Andromede de Francesco Manelli.

Cette salle, pour laquelle nous n’avons pas de document graphique, était d’après les textes, dessinée selon une courbe circulaire tronquée aux trois quarts avec une scène munie d’un système de machinerie assez bien perfectionné si l’on en juge par le mouvement des châssis de décors coulissants latéralement sur le plancher de scène, une innovation technologique, ouvrant la voie à bien d’autres recherches illustrées par l’architecte et théoricien Nicola Sabbatini, qui publia à cette même époque un ouvrage de première importance, intitulé « Pratique » pour fabriquer des scènes et machineries de théâtre, un ouvrage de référence faisant suite aux écrits de Léonard de Vinci et de Serlio aux XVe et XVIe, énonçant les principes et préceptes fondamentaux de tous les aspects scénographiques pleinement exploités aux XVIIe et XVIIIe et jusqu’à nos jours.

D’un simple plateau sommairement équipé, il deviendra une véritable machine à transformation du fait de ses nouvelles mensurations.

La superficie de la scène va doubler et sa hauteur tripler, ce qui favorisera la remontée des décors souples dans les cintres à l’aide de machineries complexes, et de reconvertir les marins en chômage en machinistes pour manœuvrer tous les cordages nécessaires aux mouvements des décors, comme ce fut déjà le cas à Rome en 72 après J .C. lorsque les marins furent utilisés pour assurer l’ouverture et la fermeture de l’immense velum du Colisée conçu pour abriter les spectateurs du soleil.
(sur une scène ne dites jamais « corde » mais « fil » car la corde porte malheur au théâtre et vous serez amendé si vous prononcez son nom).

Des dessous de scène sont créés sous le plateau pour y loger les décors rigides appelés fermes.

Tout cet ensemble dénommé cage de scène deviendra pour toujours la référence de la scène dite à l’Italienne.

Ces nouveaux rapports de surfaces et de volumes ont littéralement bouleversé les aspects internes des théâtres et permirent à l’architecte et peintre Giacomo Torelli de passer maître dans l’art de peindre sur toile des perspectives décoratives, dont celles des décors pour « Les Noces de Pelle et de Thetis » de Pier Francesco Cavalli, présenté en 1639 au théâtre San Casiano (la grotte - gigantesques gloires), ainsi que pour Bellerofonte de Sacrati, présenté en 1642 au théâtre Novissimo de Venise.

Au passage, rappelons que sur l’ordre de Richelieu, Torelli aménagea en 1639, la salle du Palais Royal de Paris, conçu par Jacques Lemarcier et que c’est en machinerie qu’il apparut comme un véritable créateur, en réalisant entre autres, les admirables décors pour l’Andromede de Corneille.

Après ce court détour, nous ne pouvons quitter Venise, sans parler du théâtre San Angelo, édifié sur le Grand Canal, car il fut le fief incontesté d’Antonio Vivaldi, un lieu dans lequel une vingtaine de ses opéras furent représentés.

Nous pourrions également parler du théâtre San Moïse dans lequel fut représenté le 5 février 1787, le premier « Don Giovanni » de Giuseppe Gazzaniga ainsi que le théâtre San Samuele, dans lequel Carlo Goldoni signa l’un de ses premiers contrats.

Nous arrivons au XVIIIe siècle, au cours duquel le style Vénitien c’est imposé dans le monde musical de l’époque, jusqu’à créer en Italie un prodigieux développement que l’opéra connaîtra dans la période Baroque jusqu’à la fin de ce siècle.

Considéré comme un Art, l’Architecture Théâtrale dite « à l’Italienne » en est devenue un rite social. Quant à l’opéra, il constitua un spectacle universel, dit lyrique, pour le peuple et la noblesse unis dans une même passion, souvent fanatique et exaltée.

Transportons nous tout d’abord à Verone, au théâtre Filarmonico, édifié en 1720 par l’architecte Francesco Galli Bibiena. (La dynastie Bibiena)

Dans sa recherche d’un modèle de salle pouvant répondre aux meilleures propriétés d’acoustique, cet architecte donne à son théâtre la forme d’une cloche renversée dont l’avant-scène serait la base, ce qu’il appelait une « courbe phonique ? »

C’est maintenant à Rome, que nous nous rendons au théâtre Argentina, édifié en 1732 par le Marquis Giovanni Theodoli, architecte et scénographe, pour le compte du Duc Giuseppe Sforza Cesarini.

La salle de forme elliptique, inspirée de celle de Naples, présentait deux particularités :

Pour se venger de ses succès, les Argentini (c’est ainsi que l’on nommait les fidèles de l’Argentina), s’avisèrent de lâcher dans la salle ennemie, au moment où le ténor commençait l’aria qui soulevait l’enthousiasme, un chien à qui on venait de faire subir un si mauvais traitement qu’il emplissait le théâtre de ses aboiements.

Ni le ténor, ni l’opéra qu’il chantait ne résistèrent à ces diableries, ce qui obligeait le directeur de l’Albertini d’interrompre périodiquement ses spectacles et de licencier ses ténors.

Ce n’est qu’après de nombreuses années de luttes discourtoises et de tracasseries renouvelées que le théâtre ARGENTINA finit par s’imposer comme le premier théâtre de ROME, jusqu’à devenir le théâtre officiel.

Transportons nous ensuite à Naples, au théâtre San Carlo, édifié en 1737, par l’architecte Giovanni Medrano, inauguré le jour de la Saint Charles, pour Charles de Bourbon, avec une œuvre de Sarro (aménagement en salle de bal - en théatre).

Ouvert au public, il a connu des moments tumultueux du fait qu’il coïncidait avec le développement de l’opéra-bouffe , né des intermèdes comiques qu’il était d’usage d’intercaler pendant les entractes des spectacles « Seria ».

Le premier exemple en est les deux actes de la « Servante maîtresse », de Jean Baptiste Pergolese, donnés dans ce théâtre ; un spectacle ayant eu une influence décisive sur l’opéra comique italien tout entier, produit type de l’époque Napolitaine. Les particularités architecturales de ce théâtre, montrent assez précisément l’image universelle que nous nous faisons encore aujourd’hui d’une salle à l’Italienne :

Remontons maintenant à Turin, au théâtre Royal, édifié en 1740, par les architectes Castellamonte et Alfieri, inauguré le 26 décembre avec l’Arcase de Francesco Feo, dans une scénographie typiquement baroque de Galli Bibiena, un décor luxueusement architecturé, de telle façon qu’il donne l’illusion d’être en continuité avec la décoration de la salle, une volonté d’unité de lieu pour l’époque.

Dans son Encyclopédie, Diderot décrit ce théâtre avec admiration, car en plus de sa forme elliptique, les architectes ont développé toute une panoplie de moyens acoustiques :

 

Avant de rejoindre Milan, arrêtons-nous un moment à Bologne, au théâtre Communal, édifié en 1761 par le célèbre architecte Antonio Galli BIBIENA, inauguré le 14 mai 1763, avec « Trionfo de Clelia » de Gluck.

S’inspirant du théâtre Filarmonico de Vérone, BIibiena donne à sa salle, une forme de lyre, sorte de « courbe phonique ».

Faute d’argent, il s’engagea dans une recherche plus fonctionnelle des espaces, en taillant à l’économie les structures décoratives de la salle.

Sous les décors fastueux du baroque, les loges à arcatures regroupées par des colonnes semblent redonner un goût pour l’antique, accentué par la privatisation des loges due aux balustrades individuelles.

Cette nouvelle conception donne à la salle, un aspect dynamique, mais peut-être plus austère dans l’ornementation.

Comme il le fait pour cette salle, l’architecte Bibiena avait déjà utilisé cette forme de cloche non seulement à Vérone, mais également pour le théâtre Communal de Sienne en 1753, ainsi que pour le théâtre Scientifico de Mantoue.

Noter également que c’est dans cette ville de Bologne que Mozart a reçu le Diplôme de l’Académie Philharmonique, lors de sa visite en 1770. Arrivés à Milan, visitons rapidement le théâtre de la Scala, édifié en 1778, par l’architecte Giuseppe Piermarini, pour l’Impératrice Marie-Thérèse. Il est inauguré le 3 août 1778 avec « L’Europe reconnue » de Salieri.

La Scala, est principalement une légende plutôt qu’un chef d’œuvre architectural. Il doit cette légende peut-être plus à la qualité des artistes qui l’on servi, qu’à son architecture, car il n’a rien fait d’autre que de porter à une dimension colossale le meilleur de l’époque.

La salle en forme de fer à cheval, apparaît comme une énorme ruche de 260 loges pour 2800 spectateurs, un ensemble surdimensionné d’une esthétique archaïque néoclassique, embrasé par le feu en 1943. Il est aussitôt restauré en pleine guerre et réouvert en 1946.

Rien n’a changé de l’atmosphère d’autrefois : quand les lumières baissent, c’est toujours le même coucher de soleil or et rouge qui s’installe.

Pour clore l’Histoire de l’évolution architecturale des théâtres parsemés dans toute l’Italie, je pense que Venise s’impose avec la visite de La Fenice, lieu phare du XVIIIe siècle.

Renaissant des cendres du théâtre San Benedetto et après un concours international restreint, c’est l’architecte Antonio Selvaqui emporte la décision du jury.

La Fenice, bâtie en 27 mois, est inaugurée le 16 mai 1792, avec un Opéra de Paisello.

C’est le premier bâtiment néoclassique de Venise. Il n’a cessé de subir de nombreux évènements après son premier incendie en 1836. Reconstruit à l’identique selon les plans de Selva, le théâtre sera de nouveau inauguré le 26 décembre 1837, avec un Opéra de Lillo. La salle, de forme traditionnelle en fer à cheval, est exclusivement construite en bois, comme la plupart des théâtres d'opéra de cette époque, sans préjuger de la voie difficile que l’architecte prenait face à la proie des flammes.

D’inspiration Baroque, au décor mordoré, la salle est mise en valeur par la profusion des sources lumineuses réparties dans l’espace (des bougies à cette époque).

Les loges, richement décorées, participent à la somptuosité du lieu, un lieu prestigieux illustrant avec perfection toutes les qualités d’un « théâtre à l’Italienne ».

Comme malheureusement beaucoup de théâtres de cette époque, il fut encore complètement détruit par un incendie en 1996, puis devrait être reconstruit à l’identique comme un geste de mémoire d’une époque indubitablement révolue.
En attendant cette renaissance, je souhaiterais rendre un hommage particulier à Joffredo Petrassi, patriarche de la musique Italienne décédé le 2 mars 2003, à l’âge de 98 ans. Il fut le Directeur de cet illustre théâtre de 1937 à 1940 et obtiendra la chaire de composition dans ce même établissement qu’il occupa pendant vingt ans.

Comme nous pûmes le constater, les aspirations technologiques et esthétiques des théâtres italiens d’époques « Renaissance et Baroque » furent si fortes qu’elles se sont propagées dans toute l’Europe.

Face à cette prolifération créatrice, il serait peut-être injuste de ne pas présenter un minimum de quelques uns de ces théâtres à l’Italienne implantés hors d’Italie , ayant marqué la fin du XVIIIe siècle.

Je pense d’abord à l’Allemagne, haut lieu de l’architecture théâtrale et de la création musicale, en premier avec le théâtre opéra de Bayreuth, édifié en 1748, par les architectes Joseph Saint-Pierre « un Français » et Giuseppe Bibiena, au temps de la Margravine Wilhelmine, sœur de Frédéric II, maillon d’une chaîne de théâtres dont cette famille d’artistes encerclait l’Europe.

Somptueux théâtre de style Rococo, d’une incommensurable richesse d’invention et de savoir faire. Une ornementation traitée dans les « Bleus et Or », magnifiquement mise en valeur par la lumière des chandelles, telle une image scintillante et de rêve.

En second, le théâtre de la Résidence de Munich, édifié en 1753, par l’architecte François de Cuvillies dans le style rococo plus gai que celui de Bayreuth.

La salle, composée de quatre rangées de loges dominées par le baldaquin de la loge de cour, se trouve enrichie par le fait de riches bois sculptés entourés de Caryatides.

L’ambiance générale de cette salle, faite de couleurs « Blanche, Or et Pourpre », compose un exubérant écrin dédié à la musique, dans lequel fut présenté le 13 janvier 1775 « La Finta Giardiniera » de Mozart ainsi que son « Idiomée » le 29 janvier 1781.

Je pense ensuite à la France très liée à l’Italie avec le Grand théâtre de Lyon, édifié entre 1754 et 1756, par l’architecte du Roi, Germain Soufflot, inauguré le 30 avril 1756, maintenant disparu.

Si ce théâtre est resté légendaire, ce n’est pas uniquement par ses innovations, mais d’abord par la forme de sa salle, un ovale tronqué inspiré de la salle dite « en cloche » de Bibiena, créée en 1720 pour le théâtre Filarmonico de Verone.

Côté confort visuel des spectateurs, Soufflot changea délibérément la volumétrie de la salle par le décalage des différents niveaux des loges en encorbellement s’évasant vers le haut, une disposition mettant fin à la ségrégation des spectateurs et du même coup la suppression du caractère « cages à poules » typique des salles à l’Italienne.

Nous pourrions également parler :

Pour simplifier, je n’évoquerai brièvement que l’Opéra Louis XV de Versailles, édifié en 1770, par l’architecte Jacques-Ange Gabriel, inauguré à l’occasion du mariage du dauphin et de l’Archiduchesse Marie-Antoinette.

S’écartant avec une souveraine liberté des théâtres déjà presque néo-classiques d’Italie, cet opéra royale conçu sur un plan elliptique, exprime le caractère le plus marquant de la richesse des matériaux employés tout en gardant un goût de la mesure et de l’élégance.

Nous retrouvons entre autre dans cette salle quelques dispositions bien spécifiques du répertoire classique :

L’architecture de la salle puise également aux sources de l’Antiquité, en y apportant un déploiement de pompe et de magnificence extrême inondée d’or, un faste de caractère signé Solaire et Royal, voire Divin.

Pour terminer ce long voyage, je ne peux m’empêcher de vous parler succinctement du Grand théâtre de Bordeaux, édifié entre 1774 et 1778, par l’architecte Victor Louis, sous l’impulsion du Maréchal Duc de Richelieu, protecteur des comédiens, inauguré le 7 avril 1780 , avec « Athalie » de Racine.

Héritier des théâtres italiens des XVIIe et XVIIIe siècles, il est considéré comme le type accompli des théâtres Français du XVIIIe siècle, tant par la disposition architecturale de la salle que par l’harmonie et l’élégance de son vestibule et de son célèbre escalier qui inspira beaucoup d’autres architectes dont Charles Garnier pour la construction de l’Opéra de Paris.

Par son austérité, la salle de style Louis XVI est un retour à l’art antique semblable à la salle du théâtre Communal de Bologne en 1761, se composant à partir d’une forme circulaire se raccordant latéralement à la baie de scène, ce qui n’est peut-être pas sans raison, car Victor Louis était particulièrement attaché aux symboles, dont le cercle représentait pour lui – le temps - l’éternel recommencement – la perfection et l’homogénéité.

L’ordonnance intérieure de la salle est composée d’un ensemble de colonnes canelées, entre lesquelles s’inscrivent aux 2e et 3e niveaux, une série de balcons saillants, ceinturés de balustrades. Cette disposition avait pour but de contraster avec la rigueur géométrique des salles à l’Italienne qui engendrait une certaine monotonie architecturale.

Quant au cadre de scène, la disposition générale reprend le principe de Torelli, avec un portique liant la salle au décor de scène, incluant une superposition de loges implantées en biais, comme déjà en perspective complété d’un rideau peint escamotable, reproduisant là aussi une perspective architecturée en trompe l’œil, s’harmonisant avec le décor de la salle, l’ensemble composé d’une dominante de faux marbre blanc veiné, rehaussée d’or sur tous les reliefs ornementaux et de BLEU nattier pour toutes les tapisseries et tentures, ce qui rappelle le symbolisme du supra-terrestre et la couleur de la famille Royale.

La cage de scène, de volumétrie traditionnelle pour un théâtre lyrique, renfermait des équipements performants pour l’époque, conçus par le talentueux machiniste Charles Niquet.

Après 210 ans de service, l’œuvre de Victor Louis, nécessitait un besoin urgent de restauration pour satisfaire aux besoins actuels.

En 1990, une campagne de travaux de remise en état fut programmée et confiée à l’architecte en chef des Monuments historiques Bernard Fonquernie, avec qui j’ai eu le privilège d’être associé en qualité d’architecte-scénographe, pour la rénovation complète de la cage de scène, un travail d’exploration technologique particulièrement ardu, qui m’a permis de pénétrer dans la secrète intimité de ces anciens magiciens de l’illusion et du travail des machinistes et autres techniciens de scène.

La réouverture du théâtre eu lieu le 24 janvier 1992 avec la « Flûte enchantée » de Mozart.

Il ne me reste plus qu’à vous remercier de votre chaleureuse attention, et de m’excuser d’avoir été un peu long.

 

Réactions des adhérents.

Après son exposé captivant et parfaitement illustré, Bernard Guillaumot reçut des adhérents une foule de questions auxquelles il répondit avec compétence et passion, citant à l’appui certains des événements ou créations de sa brillante carrière.

À partir du théâtre à l’italienne, des sujets nombreux et variés ont été évoqués, comme la signification donnée en France au théâtre à l’italienne, les différences dans la manière actuelle de concevoir la scénographie en Italie et en France par rapport à l’Allemagne, les problèmes d’acoustique et de matériaux (résolus dans l’Italie du 16° au 18° siècle par l’emploi généralisé du bois), la multiplicité des fonctions remplies par les architectes scénographes italiens, qui étaient aussi des décorateurs, les volumes de salle nécessaires selon le nombre de spectateurs, et sur le plan purement français mettant à profit son expérience pour nous informer sur l’évolution des théâtres municipaux, des salles polyvalentes, des maisons de la culture, etc...

Salle chaleureuse et enchantée d’un exposé instructif et passionnant.

 Pour approfondir :

 

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